1. DEPOTS DE MARQUES DE MAUVAISE FOI : BIEN MAL ACQUIS NE PROFITE JAMAIS (TUE, 21 avril 2021, T-663/19, Hasbro c/ EUIPO ; TUE, 28 avril 2021, T-311/20, France Agro c/ EUIPO)
Récemment, le Tribunal de l’Union européenne a donné deux illustrations de la notion de mauvaise foi, qui constitue, aux termes de l’article 59 du Règlement n°2017/1001, une cause de nullité absolue de la marque de l’Union européenne.
Dans une première affaire, le Tribunal a confirmé la décision de la chambre des recours de l’EUIPO jugeant que la société Hasbro était de mauvaise foi lors du dépôt de la marque verbale « MONOPOLY » n°9071961 (TUE, 21 avril 2021, T-663/19, Hasbro c/ EUIPO – Kreativni Događaji).
Le Tribunal a considéré que la marque en cause constitue un dépôt réitéré des marques antérieures de la société Hasbro enregistrées respectivement en 1998, 2009 et 2010, la demande ayant été présentée afin d’éviter les conséquences d’un défaut d’usage de ces marques antérieures.
A cet égard, le Tribunal énonce que, si une telle pratique consistant à redéposer des signes identiques pour désigner des produits et/ou services identiques ou similaires n’est pas interdite en soi, elle le devient dès lors qu’elle a pour objectif de contourner les règles du droit des marques de l’Union européenne.
Ainsi, un dépôt réitéré de marques antérieures visant délibérément à contourner l’obligation d’usage des marques passé un délai de 5 ans à compter de leur enregistrement, et ainsi, la nécessité de prouver leur usage en cas d’actions administratives ou judiciaires, constitue un dépôt de marque de mauvaise foi.
En conséquence, la marque « MONOPOLY » contestée est annulée pour les produits et services visés qui sont identiques à ceux couverts par les marques antérieures du déposant.
Il sera intéressant de suivre les conséquences d’un éventuel recours contre cette importante décision.
Dans une seconde affaire, le Tribunal a confirmé l’annulation de la marque semi-figurative « CHOUMICHA Saveurs » n°13866553, demandée par Madame Choumicha Chafay, cheffe de cuisine marocaine pour dépôt de mauvaise foi, eu égard à différents indices (TUE, 28 avril 2021, T‑311/20, France Agro c/ EUIPO).
Le Tribunal relève ainsi notamment que la requérante, connue sous le nom de Choumicha, dispose d’une notoriété au Maghreb ainsi qu’auprès d’une partie du public arabophone de France et de Belgique en raison de son activité, notoriété qui ne pouvait être ignorée par le déposant qui a fait le choix d’un terme arabophone. Or, le nom de Choumicha constitue l’élément distinctif et dominant de la marque contestée.
En outre, il est également constaté que cette marque désigne, par ailleurs, des produits alimentaires, alors même que la réputation de la cheffe a précisément été acquise dans le domaine culinaire.
Le Tribunal en déduit que le déposant de la marque contestée avait pour intention, au jour du dépôt, de porter atteinte aux intérêts de Madame Choumicha Chafay en bénéficiant de manière indue de sa réputation et en l’empêchant de l’exploiter sur le territoire de l’Union.
En conséquence, la marque contestée est annulée pour l’ensemble des produits visés, l’intention frauduleuse ayant vicié la marque dans son entièreté.
2. LA SURFACE LISSE DE LA BRIQUE LEGO CONSTITUE UNE CARACTERISTIQUE DE SON APPARENCE AU TITRE DES DESSINS ET MODELES (TUE, 24 mars 2021, aff. T-515/19)
Par un arrêt du 24 mars 2021, le Tribunal de l’Union européenne a annulé la décision de la chambre de recours de l’EUIPO qui avait déclaré nul, en 2019, le dessin ou modèle de la célèbre brique de jeux de construction Lego. La 3ème chambre de recours de l’EUIPO, dans une décision du 10 avril 2019, avait donné raison au requérant, la société Delta Sport Handelskontoren, déclarant nul le dessin ou modèle contesté au motif que toutes les caractéristiques de l’apparence de la brique – la rangée de pastille sur la face supérieure, la rangée de cercles plus petits sur la face intérieure de la brique, la forme rectangulaire de la brique, la forme cylindrique des pastilles, etc – étaient exclusivement imposées par sa fonction technique, à savoir permettre l’assemblage avec d’autres briques du jeu et leur démontage.
Toutefois, cette décision a été annulée par le Tribunal de l’Union européenne.
Le Tribunal énonce, sur le fondement de l’article 8 § 1 du Règlement (CE) n°6/2002, qu’un dessin ou modèle doit être déclaré nul si l’ensemble des caractéristiques de son apparence sont exclusivement imposées par la fonction technique du produit concerné par ledit dessin ou modèle de sorte que si au moins une des caractéristiques de l’apparence du produit n’est pas exclusivement imposée par la fonction technique de ce produit, le dessin ou modèle en cause ne saurait être annulé.
Or, en l’espèce, les juges européens ont relevé que les surfaces lisses présentes sur les faces supérieures des briques ne se limitaient pas à une simple « absence de pastilles » mais bien à une caractéristique de l’apparence propre du produit, caractéristique qui n’avait pas été identifiée par l’EUIPO. Le Tribunal en déduit donc une violation de l’article 8 § 1 du Règlement, l’EUIPO n’ayant ainsi pas identifié l’ensemble des caractéristiques de l’apparence de la brique LEGO et, a fortiori, pas établi que l’ensemble de ces caractéristiques étaient exclusivement imposées par la fonction technique du produit.
3. VIOLATION D’UN CONTRAT DE LICENCE OU CONTREFACON DE DROIT D’AUTEUR ? ATTENTION AU FONDEMENT DE LA DEMANDE (Cour d’appel de Paris, 19 mars 2021 n°19/17493)
La société Entr’Ouvert a conçu en 2003 un logiciel permettant la mise en place d’un système d’authentification unique des internautes, qu’elle a diffusé soit sous licence libre soit sous licence commerciale. La société Orange, dans le cadre d’un appel d’offres de l’Etat, a proposé une solution comprenant une utilisation de ce logiciel sous licence libre.
Or, la société Entr’Ouvert, estimant que l’utilisation du logiciel par Orange violait les stipulations de la licence libre, l’a assignée en contrefaçon de droit d’auteur.
Dans son jugement du 21 juin 2019, le Tribunal de Grande Instance de Paris avait déclaré la société Entr’Ouvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon, considérant qu’elle poursuivait la réparation d’un dommage généré par l’inexécution d’obligations contractuelles résultant de la licence et qu’en conséquence, seul le fondement de la responsabilité contractuelle était susceptible d’être invoqué.
En appel, cette solution a été confirmée par un arrêt en date du 19 mars 2021.
Les juges d’appel ont d’abord fait référence à l’arrêt de la CJUE en date du 18 décembre 2019 (C‑666/18) : « La CJUE ne met pas en cause le principe du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et la conséquence qui en découle de l’exclusion de la responsabilité délictuelle au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que les parties sont liées par un contrat et qu’il est reproché la violation des obligations de celui-ci ».
En l’espèce, la société Entr’ouvert fondant son action sur le contrat de licence et se prévalant de la violation des clauses du contrat, l’action en contrefaçon fondée sur le seul fondement délictuel doit être déclarée irrecevable.
Néanmoins, la cour d’appel a accueilli la demande fondée sur le parasitisme, le logiciel, tel que modifié et incorporé dans la solution proposée par Orange, ayant procuré à cette dernière l’avantage de pouvoir répondre à l’appel d’offre de l’Etat. Orange a ainsi été condamnée à payer la somme de 150 000 euros au titre du parasitisme.
4. LA GARANTIE D’EVICTION EST DUE A L’ACHETEUR ET NON AUX SOCIETES DE SON GROUPE (Cour de Cassation, 8 avril 2021 n°19-25.305)
Dans un arrêt rendu le 8 avril 2021, la Cour de cassation est venue rappeler que la garantie légale d’éviction n’est due par le vendeur, aux termes des articles 1625 et 1626 du code civil, qu’à l’acquéreur qui subit ladite éviction, à l’exclusion notamment des filiales de l’acquéreur.
En l’espèce, la société Cognac Ferrand, qui a pour activité le commerce de boissons alcoolisées, a fait fabriquer par la société DS Smith des étuis en carton pour emballer les spiritueux qu’elle vend aux États-Unis par l’intermédiaire de l’une de ses filiales. Cette dernière a été poursuivie devant les instances américaines pour des faits de contrefaçon visant lesdits étuis.
Un protocole a finalement été conclu entre les parties à la procédure américaine. Cependant, la société Cognac Ferrand, considérant avoir engagé des frais pour défendre les droits de sa filiale, a assigné le fabricant des étuis argués de contrefaçon en paiement de dommages-intérêts sur le fondement de la garantie d’éviction due par le vendeur.
Par un arrêt en date du 12 septembre 2019, la Cour d’appel de Versailles avait accueilli sa demande en condamnant le fabricant à payer à la société Cognac Ferrand la somme de 216 251 euros à titre de dommages-intérêts.
La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, au visa des article 1625 et 1626 du code civil, la procédure de contrefaçon ayant été engagée contre la filiale américaine et non contre la société Cognac Ferrand, seule bénéficiaire de la garantie d’éviction.
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