Article rédigé par l’équipe droit aérien du cabinet : Isabelle Francelet et Nathalie Younan.
Plusieurs autres juges nationaux de l’Union Européenne s’étaient déjà prononcés en ce sens, notamment en Grande-Bretagne, en Allemagne ou en Espagne.2
Cependant, bien que la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après la « CJUE ») ne se soit pas encore prononcée sur cette question, la décision de la Cour de cassation peut sembler en contradiction avec les critères développés au fil de sa jurisprudence par la CJUE pour déterminer l’existence ou non d’une circonstance extraordinaire.
En effet, celle-ci a précisé à plusieurs reprises l’interprétation de l’article 5 §3 du Règlement CE 261/2004 selon lequel « un transporteur aérien effectif3 n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. »
La CJUE a ainsi établi, depuis 2009, une double condition pour qualifier des circonstances d’extraordinaires : (i) il s’agit d’événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien, et (ii) sur lesquels le transporteur n’a aucune maîtrise.4
Partant, elle a écarté cette qualification concernant le choc d’un escalier mobile d’embarquement avec un aéronef5 ou pour une défaillance technique liée à l’entretien des pièces de l’appareil. Ces circonstances sont en effet considérées par la CJUE comme intrinsèquement liées au fonctionnement de l’avion, et n’échappent pas, de ce fait, à la maîtrise du transporteur aérien, dans la mesure où celui-ci est tenu de veiller au bon entretien de sa flotte.6
La Cour de justice a, au contraire, reconnu qu’une collision aviaire avec un aéronef constituait une circonstance extraordinaire, peu important que des dommages aient été causés à l’appareil. Car bien qu’habituel, ou à tout le moins prévisible, il s’agit d’un phénomène naturel extérieur, extrinsèque à l’activité du transporteur.7
La Cour de cassation avait, suivant la position de la CJUE, reconnu à la foudre le caractère de circonstance extraordinaire, fondant explicitement sa motivation sur la jurisprudence de cette dernière. Elle avait en effet rappelé les deux critères cumulatifs d’inhérence, et de maîtrise effective par le transporteur, pour conclure que cet événement météorologique était bien extrinsèque au transporteur et échappait à sa maîtrise.8
Aussi, en refusant à la maladie du pilote le qualificatif de circonstance extraordinaire, la Cour de cassation semble avoir assimilé le personnel navigant à un élément intrinsèque à l’appareil, en ce qu’il en permet le fonctionnement. Pourtant s’il est indéniable qu’un avion ne peut décoller sans l’action des pilotes, et qu’il appartient au transporteur de veiller régulièrement aux compétences techniques de ces derniers (en assurant notamment des contrôles sur simulateur ou durant un vol, ainsi qu’en effectuant des contrôles médicaux pour s’assurer de leur état de santé général), il est plus difficile de considérer que la maladie est une chose habituelle, et plus encore de supposer que le transporteur aérien pourrait en avoir une quelconque maîtrise.
La Cour de cassation, lorsqu’elle avait admis la foudre comme étant un élément non inhérent au transporteur aérien, avait pourtant fait sien le raisonnement de l’avocat général, Jean-Pierre Sudre, qui avait, à juste titre, relevé que : « Si la survenance d’orages peut être considérée comme inhérente à l’exercice normal de l’activité d’un transporteur aérien, le foudroiement d’un aéronef ne l’est pas et échappe nécessairement à la maîtrise de celui-ci.9 »
On peut dès lors regretter, concernant la maladie soudaine du pilote, que la Cour de cassation n’ait pas établi un parallèle avec la distinction qu’elle avait pourtant admise entre un orage, événement météorologique habituel et le foudroiement d’un aéronef, élément extérieur non prévisible, et donc extraordinaire. L’indisponibilité d’un membre d’équipage peut être considérée comme inhérente à l’activité du transporteur aérien, la maladie soudaine du pilote, nécessitant une hospitalisation d’urgence (comme ce fut le cas dans l’espèce soumise à l’examen de la Cour) ne le semble pas, et échappe à l’évidence à la maîtrise de ce dernier.
L’arrêt du 5 février 2020, laconique, indique en effet : « Après avoir constaté que le pilote avait fait l’objet de soins, le 12 août 2018, à l’aéroport de Z…, le jugement énonce, à bon droit, que la maladie ou une indisponibilité soudaine pour des raisons médicales n’est pas un événement inhabituel et ne saurait être qualifiée de circonstance extraordinaire au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 du 11 février 2004. »
La Cour de cassation pourrait être conduite à revenir sur cette position dans les prochains mois. En effet, le Conseil de l’Union européenne doit présenter à la fin du mois de juin 2020, au Parlement européen un projet de modification dudit Règlement 261/2004. Celui-ci prévoit notamment l’établissement d’une liste exhaustive de circonstances extraordinaires au nombre desquelles figure la maladie soudaine d’un membre d’équipage.
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1 Arrêt n°113 du 5 février 2020 (19-12.294) – Cour de cassation – Première chambre civile
2 – Davies v British Airways Plc unreported 29 May 2015
– Sentencias AP Barcelona (Sección 15a) 17 diciembre 2010 (JUR 2011137344);
– Juzgado de lo Mercantil núm. 1 de Oviedo, 25 septiembre 2007 (JUR 200860070).
– Tribunal de district de Darmstadt, arrêt du 23 mai 2012
3 Le transporteur aérien effectif est défini comme “un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager” (article 2 du règlement précité)
4 CJCE 22 déc. 2008, Wallentin-Hermann c/ Alitalia
5 CJUE 14 nov. 2014, Siewert c/ Condor Flugdienst, aff. C-394/14
6 CJUE 17 sept. 2015, van der Lans, aff. C-257/14
7 Arrêt de la CJUE du 4 mai 2017¨ Pešková†et†Peška¨ C-315/15
8 Arrêt n°80 du 12 septembre 2018, Cour de cassation, première chambre civile
9 Jean-Paul Sudre, avocat général à la Cour de cassation, Recueil Dalloz 2018 p.2117