Article de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions
A l’occasion d’une cession d’entreprise, le cédant octroie généralement au cessionnaire une garantie d’actif et de passif, qui l’oblige à prendre en charge les conséquences des omissions ou des inexactitudes des déclarations qu’il consent et de toute diminution d’actif ou augmentation de passif de la société cédée survenant après la cession mais résultant d’évènements antérieurs.
Les termes de la garantie de passif sont âprement négociés, tant en ce qui concerne le contenu de ces déclarations que les modalités de détermination de l’indemnité due au cessionnaire.
Mais ces efforts pourraient être vains si le cédant ne veut ou ne peut ultérieurement assumer son engagement d’indemnisation. Aussi, la pratique a développé divers mécanismes dits de « garantie de la garantie ». Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut identifier les mécanismes les plus usuels (1) et ceux qui gagneraient à se développer (2).
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1) Les garanties usuelles
- Le cautionnement donné par une banque ou la société mère du cédant, qui s’engage à pallier la déficience de ce dernier, est une solution fréquemment rencontrée.
Le cautionnement est d’autant plus efficace qu’il est présumé solidaire, car la caution perd le « bénéfice de discussion » et peut être directement appelée en paiement par le cessionnaire, sans que le garant ne soit préalablement sollicité. Il pâtit toutefois de son caractère accessoire à l’obligation principale garantie (de sorte que la caution peut opposer au cessionnaire les exceptions tirées de la garantie de passif), d’un certain formalisme et de la nécessité d’arrêter dans l’acte une durée et un montant de garantie maximums, parfois inférieurs aux limites prévues par la garantie de passif.
- La garantie autonome consentie par une banque qui s’oblige à verser les sommes dues par le cédant est usuelle.
Il s’agit d’une garantie simple et efficace, notamment parce qu’elle n’est pas l’accessoire de l’obligation principale et qu’elle peut être stipulée « à 1ère demande », obligeant la banque à payer sans délai. Mais elle requiert elle aussi de définir une durée et un montant de garantie maximums, et impose généralement au cédant d’immobiliser auprès de sa banque une somme égale audit montant.
- Le séquestre d’une partie du prix de cession entre les mains d’un tiers, chargé de la libérer au profit du cessionnaire en cas d’appels en garantie et de restituer le solde au cédant selon les modalités prévues dans la convention signée entre les parties, est une autre option.
C’est un mécanisme simple et peu onéreux, qui permet d’investir les fonds séquestrés et assure leur disponibilité immédiate pour le cessionnaire. Mais il prive temporairement le cédant d’une partie du prix de cession, qui entrera pourtant dans l’assiette des droits d’enregistrement. Par ailleurs, en dépit d’une convention tripartite rédigée avec minutie et prévoyant une libération « mécanique » des sommes séquestrées sans marge d’appréciation laissée au séquestre, il arrive parfois que ce dernier, en cas de contestation, décide de bloquer les fonds pour s’éviter toute implication dans une procédure contentieuse liée à la garantie de passif.
- Une sûreté réelle portant sur un bien appartenant au cédant, telle qu’un nantissement, peut aussi être envisagée. Elle permet au cessionnaire de faire vendre le bien donné en garantie, voire de s’en faire attribuer la propriété en cas de nantissement portant sur des actions, en cas de défaut de paiement du cédant. Son exercice s’inscrit toutefois dans une procédure plus longue et parfois compliquée.
Aux côté de ces garanties habituelles, d’autres mécanismes moins usités ne manquent pas d’intérêt et gagneraient à se développer.
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2) Les garanties alternatives
- L’assurance de garantie de passif, dont le coût tend à décroître ces dernières années, constitue aujourd’hui une alternative crédible. Elle consiste à transférer la prise en charge des conséquences financières de la garantie de passif à un assureur moyennant le paiement, lors de la souscription du contrat, d’une prime unique.
Le mécanisme permet au cédant de recevoir immédiatement la totalité du prix de cession, de limiter ses engagements hors bilan et de connaitre à l’avance le montant à débourser, et offre au cessionnaire un recours efficace et direct contre un tiers solvable.
En pratique, l’assureur analysera les rapports d’audit et la documentation d’acquisition, puis échangera avec les conseils de l’assuré, avant de proposer un projet d’assurance comportant des limitations (franchise, plafond) et des exclusions (risques identifiés avant la vente mais aussi, souvent, certains sujets spécifiques tels que les risques fiscaux ou environnementaux), qui devra être discuté.
L’articulation entre la garantie de passif et le contrat d’assurance devra être examinée rigoureusement afin d’identifier les risques qui pourraient rester à la charge du souscripteur ainsi que les immanquables incohérences et incertitudes (cumul des franchises et plafonds, règles de notification, couverture des frais, etc.).
- La fiducie est une autre option intéressante. Dans sa forme de « fiducie-sûreté » qui nous intéresse ici, elle consiste à transférer la propriété de certains biens ou droits appartenant au cédant à un tiers fiduciaire, qui les conserve au sein d’un patrimoine dit « d’affectation », en garantie des engagements pris envers le cessionnaire au titre de la garantie de passif.
Les biens concernés échappent aux revendications des créanciers du garant et, en cas de défaillance de ce dernier, peuvent être attribués au bénéficiaire de manière quasiment automatique sans que les exceptions tirées de la garantie de passif ne lui soient opposables.
La fiducie est toutefois soumise à un certain formalisme. Elle nécessite de faire intervenir un fiduciaire (avocat par exemple), qui préparera un contrat comportant un certain nombre de mentions obligatoires. Elle doit aussi faire l’objet d’un enregistrement et être publiée au registre national des fiduciaires.
Chacun des mécanismes analysés ci-avant présente des avantages et des inconvénients. Il n’y a pas de solution idéale qui doive être privilégiée quelle que soit l’opération concernée. Le choix procède d’une analyse au cas par cas prenant en considération, par exemple, les risques révélés par l’audit, le statut des parties (personne morale ou personne physique), leurs exigences, le rapport de force qui les lie, la surface financière du cédant ou la confiance que lui alloue le cessionnaire. Ce choix peut être stratégique, et conditionner la réussite de l’opération projetée.
Article de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions