Intervention de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions. (16/03/2015)
Le 10 février dernier 2015, une ordonnance portant réforme du droit des contrats a été publiée. Cette modification d’ampleur devrait avoir des conséquences multiples pour les directeurs financiers, tant pour leurs contrats commerciaux que pour leurs transactions de M&A.
Droit des contrats Les points-clés de la réforme
REGLEMENTATION
Demeuré quasiment inchangé depuis le Code civil Napoléon, le droit des obligations français connaît enfin une nouvelle jeunesse ! Le 10 février 2015, une ordonnance portant sur la réforme des règles régissant tous les contrats dans l’Hexagone a été publiée.
Cette modification, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2015, se révélait de plus en plus nécessaire. «Les textes initiaux étaient devenus obsolètes, souligne Coralie Oger, associée chez FTPA. En réalité, la majorité des règles applicables aujourd’hui en termes de droit des contrats découlaient de la jurisprudence ». Une situation qui devenait problématique, car le droit des obligations n’était pas facilement accessible aux non-initiés. «Afin de rendre le droit des contrats français plus compréhensible, ce qui sera notamment utile pour les investisseurs étrangers, la chancellerie a décide d’intégrer dans le Code civil les principales positions adoptées par la jurisprudence», explique Armelle Maître, associée chez Stehlin Et Associes. Toutefois, la reforme apporte tout de même quelques nouveautés qui pourront avoir des conséquences pour les directeur financiers d’entreprise
De nouvelles opportunités
Ainsi, certaines modifications devraient créer de nouvelles opportunités de financement pour les directions financières. C’est notamment le cas des articles régissant les cessions de créances. «La réforme a supprimé les règles qui étaient en vigueur dans l’article 1690 du Code civil, et qui rendaient les cessions de créances contraignantes à réaliser d’un point de vue administratif, explique Coralie Oger. En effet, les sociétés devaient signifier chaque cession de créance par huissier ou obtenu l’acceptation du débiteur dans un acte authentique. » Le nouveau régime, aux articles 1321 et suivants, assouplit significativement le régime. «Non seulement les entreprises n’auront plus besoin de recourir a des huissiers, mais les nouvelles dispositions prévoient également la possibilité de céder des fractions de créances, ou des créances futures, ce qui n’était pas possible auparavant», souligne Coralie Oger. En outre, les articles 1327 et suivants permettent aux sociétés de céder des contrats de dette. «Jusqu’alors, le Code civil n’envisageait pas la cession de dette, et il était nécessaire de passer par d’autres mécanismes comme la délégation parfaite ou la novation par changement de débiteur», précise Coralie Oger.
Des protections supplémentaires
Certains articles introduits par la réforme du droit des contrats devraient également permettre de réduire l’insécurité juridique qui pesait dans certaines circonstances, notamment en matière de M&A. C’est notamment le cas du nouvel article 1124 concernant les promesses unilatérales, ou options, par lesquelles un promettant accorde à un bénéficiaire la possibilité d’exécuter un contrat si ce dernier le souhaite, pendant une periode déterminée. «Depuis une décision de la Cour de cassation datant de 1993, le promettant avait la possibilité de se rétracter avant que le bénéficiaire opte pour l’exécution du contrat sous-jacent, rappelle Svetlana Tokoucheva, associée chez Stehlin Et Associés. Un comportement qui était sanctionné uniquement par l’allocation de dommages et intérêts. Cette solution était la source d’une grande insécurité juridique, notamment dans le secteur des fusions-acquisitions, où les promesses de vente, qui peuvent porter sur des montants conséquents, pouvaient in fine ne pas être exécutées sur simple rétractation du promettant. »
Afin de répondre aux attentes des professionnels, la réforme est venue mettre fin à cette jurisprudence. «Désormais, le nouvel article considère que le contrat est forme même en cas de rétractation du promettant, poursuit Svetlana Tokoucheva. Par conséquent, les promettants n’auront plus dans les faits la possibilité de se rétracter, le bénéficiaire pouvant demander l’exécution forcée du contrat.»
De la même manière, l’instauration d’un nouveau devoir général d’information avant la signature d’un contrat devrait donner de nouveaux moyens de défense aux entreprises. «Concrètement, les parties seront désormais contraintes, en amont de la signature de tout contrat, de fournir toutes les informations qui pourraient influencer la décision de signer de l’autre partie», explique Coralie Oger. Ce nouvel article devrait ainsi permettre aux entreprises d’être protégées contre des situations où leur cocontractant n’a pas été de bonne foi. «Par exemple, si une entreprise apprend qu’un logiciel est obsolète six mois après l’avoir installé, et que le prestataire en charge de cette mise en place le savait pertinemment, elle pourra invoquer à son encontre le manquement au devoir général d’information», illustre Coralie Oger. Un manquement qui pourra alors donner lieu à des dommages et intérêts. De la même manière, les trésoriers d’entreprises pourront désormais se retourner contre leurs banques s’ils estiment que ces dernières ne les ont pas prévenus des conséquences néfastes de certains produits dérivés. Dans le cadre d’opérations d’acquisition, cette obligation pourrait également apporter de nouveaux moyens de recours aux acquéreurs, après la conclusion du contrat. «En effet, les conventions de garanties d’actif et de passif comprennent généralement une clause limitant dans le temps la durée pendant laquelle l’acquéreur peut se retourner contre le cédant, explique Armelle Maître. Or, l’obligation générale d’information est assortie d’un délai de prescription incompressible de cinq ans. Désormais, même si la convention conclue entre les parties a une maturité plus courte, l’acquéreur aura toujours les moyens de se retourner contre le cédant.»
Des sources de jurisprudence future
Toutefois, ce nouvel article pourrait également apporter son lot de désagréments. «Afin d’invoquer un manquement à ce devoir général d’information, il faut que l’acquéreur prouve son ignorance légitime du fait qui ne lui a pas été communiqué par le vendeur, détaille Armelle Maître. Une preuve qui sera certainement difficile à apporter, et qui devrait donner lieu à de nombreux conflits entre les parties d’un contrat : l’ignorance légitime implique-t-elle a contrario une obligation de se renseigner pour l’acquéreur ?»
En outre, certaines des nouveautés apportées par cette reforme devraient poser problème en pratique. Ainsi, le renforcement de l’efficacité des pactes de préférence, par lesquels une partie s’engage à conclure un contrat en priorité avec une autre partie, va se traduire par de nouvelles contraintes. «La nouvelle action interrogatoire relative à ces contrats, définie par l’article 1123 du Code civil, peut avoir des conséquences pratiques complexes, notamment dans le cadre de négociations pour des acquisitions, explique Svetlana Tokoucheva. Désormais, le tiers acquéreur qui a connaissance de l’existence d’un pacte devra désormais s’assurer auprès du bénéficiaire du pacte que ce dernier n’entend pas s’en prévaloir, au risque de voir son propre contrat annulé, et de devoir verser des dommages et intérêts. Or le bénéficiaire du pacte ne fait pas partie des discussions avec le cédant ! En outre, nous ne savons pas, à ce jour, comment nous assurer de l’absence d’autres pactes de préférence, dans la mesure où leurs bénéficiaires sont le plus souvent inconnus du tiers acquéreur…»
Des incertitudes pour les entreprises
Enfin, le nouveau régime de l’imprévision pourrait créer de nouvelles incertitudes, même après la signature du contrat. «Auparavant, conformément à une jurisprudence datant de 1876 lorsqu’un contrat était signé entre deux parties, ces dernières demeuraient liées, même en cas de changement imprévisible des circonstances, rappelle Cyrille Boillot, associé chez Stehlin 8t Associés. Désormais, une des parties pourra, lorsqu’elle considère que les circonstances rendent l’exécution de ses obligations excessivement onéreuse, demander au juge une révision du contrat.» Une nouveauté qui devrait ouvrir de nombreuses possibilités de recours, notamment sur le marché des fusions-acquisitions. «On peut penser par exemple qu’un acquéreur pourra demander une révision des clauses de complément de prix», poursuit Cyrille Boillot. L’incertitude créée par ce dispositif est particulièrement forte. «Le nouveau texte n’apporte pas de limites aux circonstances imprévisibles qui pourront donner lieu à une révision du contrat, souligne Cyril Boillot. Ainsi, il faudra attendre les premières décisions de jurisprudence pour avoir une idée de l’appréciation par les tribunaux de la notion d’exécution excessivement onéreuse.» Malgré une réforme en profondeur, les entreprises sont à nouveau dépendantes de révolution de la jurisprudence pour sécuriser au mieux leurs contrats.
La violence économique fait son entrée dans le Code civil
Sans forcément accroître radicalement l’insécurité juridique des entreprises, certaines des dispositions de la reforme vont créer de nouvelles incertitudes. C’est notamment le cas de l’inscription au Code civil, au nouvel article 1143, de la «violence économique». «Jusqu’alors, ce concept était reconnu par jurisprudence uniquement pour les contrats commerciaux, rappelle Coralie Oger, associée chez FTPA. Un arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2000 avait en effet sanctionné un donneur d’ordres pour avoir abusé de sa position de force lors de la négociation des tarifs du contrat d’un de ses sous-traitants ».
Désormais, l’inscription de ce concept en droit positif pourrait avoir des conséquences au-delà du champ des contrats commerciaux. «En faisant référence à l’état de nécessité ou de dépendance, il semble désormais possible d’invoquer la violence économique dans d’autres situations, jusqu’alors inexplorées en la matière, poursuit Coralie Oger. On pourrait imaginer par exemple que des managers actionnaires en situation de dépendance pourraient subir certains abus, et soient obligés de vendre leur participation à un prix décoté.»
Intervention de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions