Article de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions
Une nouvelle obligation d’information incombe au cédant d’une entreprise ou d’un fonds de commerce, et ce, à compter du 1er novembre 2014. En cas de manquement, la sanction est particulièrement lourde puisque la cession peut être annulée.
Éviter la disparition d’entreprises saines, faute de repreneur, et favoriser la reprise par les salariés. Tels sont les objectifs du volet Transmission de la loi sur l’Économie sociale et solidaire (ESS) du 31 juillet 2014. Si les intentions du législateur sont louables sur le papier, les dispositions prises pour y parvenir sont, en revanche, plus discutables.
La loi ESS instaure une obligation, applicable aux entreprises de moins de 250 salariés à partir du 1er novembre 2014, d’informer tous les salariés en amont d’une opération de cession. La loi impose au cédant de notifier aux salariés son intention de céder “au plus tard en même temps qu’il procède à l’information et à la consultation du CE” pour les entreprises disposant d’un comité d’entreprise (CE) et dans un délai de deux mois avant la cession, pour celles ayant moins de 50 salariés. Toutefois, la cession peut être réalisée avant l’expiration du délai si chaque salarié a fait connaître au cédant sa décision de ne pas présenter d’offre. L’idée est de permettre aux salariés de présenter une offre de rachat, sans pour autant leur octroyer un droit de préférence, le cédant restant libre de choisir son repreneur.
Les salariés sont tenus à une obligation de discrétion – dans des conditions identiques à celles des représentants du personnel – sur les informations transmises dans le cadre de cette notification.
En cas de manquement à l’obligation d’information, la sanction semble cependant disproportionnée, puisque la cession peut être purement et simplement annulée à la demande de tout salarié, dans les deux mois suivant la vente.
Ne sont concernées ni les cessions intra-familiales, ni les cessions d’entreprises en difficulté (procédure de conciliation, de sauvegarde, redressement judiciaire, etc.).
De nombreuses difficultés
Ce nouveau dispositif est loin de simplifier la vie des chefs d’entreprise. Déconnectée de la réalité quotidienne des entreprises, cette nouvelle obligation soulève de nombreuses difficultés d’interprétation et fait peser un risque réel sur la sécurité des opérations de cession.
Une première question se pose quant aux modalités d’information. Toutefois, il faudra attendre le décret d’application qui viendra préciser la forme de la notification : lettre recommandée ou lettre remise en mains propres, par exemple.
La deuxième incertitude porte sur la nature des informations à communiquer. Le texte ne prévoit de porter à la connaissance des salariés que la volonté du cédant de vendre l’entreprise. Toutefois, en pratique et afin de leur permettre de se positionner et de présenter une offre de reprise, il conviendra sans doute de fournir aux salariés des informations plus précises (prix, modalités de paiement, etc.).
Autre difficulté d’interprétation : comment s’apprécie le seuil de 250 salariés ? Quelle est la période de référence pour le calcul de l’effectif ? Faut-il inclure les CDD, les apprentis… ? Aucune précision n’est donnée par le texte et, pourtant, la question est essentielle puisqu’elle détermine si l’entreprise est soumise à cette obligation d’information.
De lourdes conséquences
Comment faire respecter le devoir de discrétion imposé aux salariés ? Le risque de voir divulguer, intentionnellement ou non, des informations confidentielles et stratégiques est loin d’être théorique. Les conséquences peuvent s’avérer désastreuses pour l’entreprise : perte de clients, défiance des fournisseurs et partenaires, manoeuvres de concurrents, etc.
Autre conséquence importante : le risque d’annulation de la vente. Le risque de contentieux existe, malgré toutes les précautions envisageables. La menace d’une telle action pourrait d’ailleurs être utilisée dans d’autres contextes de négociation individuelle ou collective.
Si le tribunal annulait une vente, cela aurait pour conséquence de remettre les parties dans la situation antérieure à la cession. Le cédant devrait ainsi rembourser le prix de cession et l’acquéreur devrait rétrocéder les titres acquis. Or, sachant qu’une procédure en première instance dure entre 12 et 18 mois et qu’elle peut se poursuivre en appel, il semble irréaliste d’espérer revenir à la situation initiale, l’entreprise ayant nécessairement évolué au cours de cette période.
Une situation qui serait également très anxiogène pour les salariés en place, qui pourraient changer d’actionnaire au gré des décisions judiciaires sans même avoir à donner leurs avis ! Le climat social risque d’en pâtir, le marché se ferait attentiste et les concurrents pourraient profiter de cette opportunité pour récupérer des parts de marché… La société pourrait ne pas se relever de telles turbulences.
Des cessions freinées, voire avortées
Toutes ces difficultés génèrent une instabilité et une incertitude autour de la transmission des entreprises, allant à l’encontre de ce que semblait rechercher le législateur. Cela pourrait d’ailleurs décourager les acquéreurs, notamment étrangers, qui, au vu des risques et difficultés rencontrées en France, pourraient préférer des cibles dans des pays où les cessions sont plus simples et où la sécurité juridique est plus élevée.
Article de Coralie Oger, avocate en en droit des sociétés et en fusions-acquisitions